Photos, livres, aventures.

Rue des maléfices




Chose rare, je relis un livre. Après que je l'ai mis dans des mains innombrables, un ami cher m'en a offert la première édition, et voilà que j'arpente à nouveau avec le même bonheur cette Rue des maléfices, de Jacques Yonnet.


"Ida la Borgnesse braillait et déconnait, déjà ou encore saoule, il l'a mélangée au brouillard à grands coups de pompes dans le parfaitement."











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Géographie vraie


C'est le récit d'une chasse aux sangliers dans le Grand Bois, quelque part entre Annemasse et la frontière suisse. On y croise donc un chasseur et des sangliers - quatre - mais aussi des douaniers, un berger, un instituteur armé et un cheval poitrinaire.
On y apprend à quelle heure redescendre les vaches de leur pâturage, que les sangliers savent instinctivement traverser les torrents en utilisant les courants, et qu'il faut être fou comme un Romain pour s'aventurer de la sorte dans le Grand Bois. Et beaucoup d'autres choses encore en une vingtaine de pages.
Cingria, c'est comme ça. C'est un Fargue qui serait le piéton des Alpes, un conteur de la vie des sous-bois dont les douaniers semblent être cousins des gardes champêtres d'André Dhôtel. Sec comme un coup de fusil et dense comme la forêt.
C'est une leçon de géographie vraie et de littérature.



Extrait :

"Mais on devrait nous prévenir : on devrait savoir que ce bois est étouffant et dangereux, qu'il n'est qu'une étendue illimitée. Or on ne nous dit rien, ni dans les livres ni à l'école. Sans doute parce que ce n'est pas une forêt : il n'y a que de hautes plantes, de hautes herbes et de petits arbres, des lianes, des épines, des pierres, de la mousse, de la boue. Des trous gris dans les haies. C'est pour les renards. L'homme les utilise et rampe. Mais il est dangereux, peut-être cet homme. Qu'est qu'il cherche, qu'est-ce qu'il fuit? Il ne faudrait pas s'engager là sans être armé. Les douaniers, mais ce n'est pas une protection. Et puis on peut errer des heures sans en rencontrer."



Charles-Albert Cingria, Géographie vraie, éditions Fata Morgana.






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Voir aussi : - Bois sec, bois vert, éditions Gallimard, coll. "L'Imaginaire".
                   - Anthologie, éditions L'Escampette.
                   - Et tout un tas de titres à L'âge d'homme.







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Elle m'a demandé, "coudon', j'ai tu une poignée dans le dos?
Voici la preuve que oui, puis ton amie aussi à part ça.











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 À l'heure des prix littéraires et du vingt millième article sur le succès supposé du livre numérique, voici deux exemples de vieillards qui tiennent la route.
Parce que, bien sûr on achète aussi un livre à cause de sa couverture, il était impossible de ne pas acheter cette édition des Neiges de Kilimandjaro au Club du meilleur livre, en 1957, avec une de ces maquette reconnaissables de Robert Massin.

Pour les mêmes raisons, je n'ai pas pu résister à cet autre petit trésor de couverture et de mise en page, ce recueil de nouvelles d'Ambrose Bierce - le redoutable auteur du Dictionnaire du diable - regroupées sous le titre de Passage du Styx, au Club français du livre en 1962.















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Pistolet à Léaud




Jean-Pierre Léaud et François Truffaut sur le tournage de La Nuit américaine. Ou comment le fils fantasmé tue le père de substitution. Et vlan! Vingt ans de psychanalyse!













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Le Bathyscaphe & le bois de mer


Tandis que les feuilles tombent, le Bathyscaphe remonte à la surface pour une sixième fois et rentre au port  juste à temps pour marquer l'arrivée de l'automne avec un sommaire plus enivrant que jamais :







D'ores et déjà on nous télégraphie
que l'on pourra y lire des textes des fiers plongeurs
Romy Ashby, Simon-Pierre Beaudet, Jean-Yves Bériou, Daniel Canty, Benoît Chaput, Bérengère Cournut, Patrick-Guy Desjardins, Hélène Frédérick, Joël Gayraud, Sarah Gilbert, Thierry Horguelin, A.J. Kinik, Hermine Ortega, Antoine Peuchmaurd, Hannah Reignier, Pierre Rothlisberger, Valérie Webber

qui parleront, entre autres de
Robert Lebel, la Bouquinerie du plateau, l'île d'Astypalée, Brian Eno, cruciverbisme anglais, la revue Capharnaüm, la dévastation du territoire québécois, la dévastation de Montréal, Dr. John, Marc Bernard, Goose Bay, les éditions Finitude, Haendel, Henri-Pierre Roché, Héraclite, rails et terrains vagues, François Truffaut, les noms d'oiseaux, Alistair MacLeod, la liaison Le Havre-Malte sur un cargo, le disque «Pour en finir avec le travail», l'adieu au légendaire Fedora de New York, Tuli Kupferberg, Richard Huet, couvents fantômes, John Cowper Powys, la ville souterraine de Montréal, Giorgio di Chirico, la frontière fermée aux anarchistes, les psychologues et les travailleurs du sexe, la magie du livre imprimé

ceci accompagné d'images de
Sarah Jade Bernier, Maïcke Castegnier, Geneviève Castrée, Jacques Desbiens, Julie Doucet, Alexandre Fatta, Michel Hellman, José Guadalupe Posada, Barthélémy Schwartz

et bien sûr
du grand jeu casse-tête de Thierry Horguelin et
du feuilleton typographique de Monsieur Moulino














Maxime Catellier s'est fait connaître comme critique (il a longtemps dirigé la section culturelle du journal Ici), comme essayiste (La mort du Canada) et romancier (Le corps de la Deneuve), il est d'abord et avant tout un fin poète.  
Bois de mer est son second recueil pour la maison d'édition L'Oie de Cravan, et sa voix y est plus juste que jamais :

Dans la bataille sans armes
où nous nous livrons
les uns aux autres,
le roi est à genoux
et les reines sans maître


Le recueil est accompagné de photos prises par l'auteur et la couverture, illustrée de peintures de Claudine Desrosiers. Il se veut un hommage aux couvertures des éditeurs pionniers de la poésie au Québec tels Erta ou le premier Hexagone.  Photos et peintures seront exposées à la librairie. On raconte même que Maxime Catellier y chantera! Que cela ne vous empêche pas de venir faire un tour puisque vin et amuses-gueules n'attendrons que vous.












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Comme quoi il n'y a pas que des châteaux en France, même ici à Turenne (Corrèze), où il en est un très beau par ailleurs, voici un décor que l'on imagine facilement trouver sur la route du Labrador.








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Adieu Fombonne





















Il serait à peu près aussi vain de vouloir résumer un roman d'Emmanuel Bove que de le faire avec un livre d'André Dhôtel ou, plus près de nous mon dieu, de Jean Echenoz, tellement chez ces gens-là l'histoire se répète et se décline sur des modèles souvent semblables.
Ses histoires ont un aspect suranné qui n'est pas sans évoquer le ton de certains classiques du XIXème. Lire Bove, c'est comprendre l'ennui éternel et la mélancolie lourde des dimanches de province. Dans Adieu Fombonne, l'anti-héros (puisqu'il ne saurait être question de héros) se nomme Charles Digoin, c'est un homme ordinaire, qui aspire à un confort petit bourgeois en vivant dans la crainte d'être rattrapé par son passé.
Rien de haletant, au contraire même. Mais l'intérêt de l'écriture de Bove, ce qui fait qu'on doit le lire encore aujourd'hui, c'est son sens aïgu du menu détail et sa rigueur dans le choix de chaque mot. Ajoutons à cela un penchant pour l'ellipse et le récit non linéaire, et l'on a un auteur de chez Minuit avant la lettre.



"Les lettres désagréables ont quelque chose de particulier. Le timbre lui-même ne ressemble pas à celui des autres lettres. Il paraît mieux collé, comme si on l'avait frappé du poing. Sans être graphologue, on découvre dans l'écriture des signes peu sympathiques. Le premier mot, Monsieur ou Madame, ou même Mademoiselle, n'a été écrit que par formalité."

 Adieu Fombonne, Emmanuel Bove, 1937, Le Castor Astral, 1994 et 2005.

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À lire aussi :
- Le pressentiment, Castor Astral, 2006
- Mes amis, Flammarion, 1993.



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Ô Paon



Une fois n'est pas coutume, c'est de musique qu'il sera question aujourd'hui, à l'occasion de la sortie du nouvel album de la dessinatrice-auteure-compositrice-interprète Geneviève Castrée.

Un automne, deux hivers et un été, c’est le temps qu’il aura fallu à Geneviève Castrée pour changer d’identité musicale en passant de Woelv à Ô Paon. Deux ans de gestation et quatre passages en studio à l’Hotel2Tango de Montréal pour préparer Courses
Ce nouvel opus annonce d’emblée sa différence avec les précédents albums de Geneviève, le ciel y est lourd et l’univers s’est assombri. Si les paroles sont plus graves, c’est qu’elle explore les zones d’ombre de notre société : les grandes friches industrielles, l’appât du gain, l’absurdité du pouvoir, la violence, la solitude. 
Savamment orchestré par Thierry Amar (Silver Mt Zion, Black Ox Orkestar, Godspeed You! Black Emperor), qui a su non seulement ajouter une texture particulière aux chansons, mais qui s’est aussi fait le traducteur de certaines idées, Courses est un album monté en boucles, riche en répétitions vocales et musicales qui nous entraînent inexorablement là où il veut nous mener, au regard que Geneviève porte sur cette déchéance. Et toute la force de l’album est dans ce regard qui saisit l’instant (« Je t’ai vue seule et abandonnée ») sans cynisme ni jugement. La tristesse contemple la tristesse. 
La vie est une course perdue d’avance, semble nous dire Geneviève, mais ne pariez pas sur mon cheval, il est trop fatigué. Et quand par moments la colère l’emporte, les musiciens (Nadia Moss, Sophie Trudeau, Jonah Fortune, Julie Houle et David Payant) unissent leurs forces pour faire lever la tempête. Humains et chevaux partent alors dans un galop effréné et chaotique, sans savoir où ils vont et sans plus se soucier des obstacles.











Port du casque obligatoire






Pour faire changement, voici un cimetière comme on les aime, en France, dans la vallée du Lot près de Saint-Cirq Lapopie. Où pour la première fois de ma vie, j'ai échappé mon objectif en voulant en changer, qui s'est empressé de rouler au fond d'un fossé rempli d'un épais buisson de ronces (à gauche hors cadre). Au mépris du danger, ignorant les épines et les animaux féroces qui n'attendaient forcément que moi, je me précipitai à sa suite pour le tirer de là. Mais si la chute est aisée, il en est autrement de la remontée, qui pour laborieuse qu'elle fût me vit néanmoins réapparaître vingt minutes plus tard, les genoux en sang mais l'oculaire intact, prenant dans mon élan cette putain de photo.

L'objectif atteint ne doit d'avoir eu la vie sauve qu'au pare-soleil crânement vissé sur son bout, comme quoi même en vadrouille dans la campagne le port du casque devrait être obligatoire.












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Mots dits français



Entendu à Paris en juillet.

- "Alors, demande l'homme de la rue, toujours poète?
- Oh! Toujours dans les mots", répond modestement l'imprimeur, qui n'a jamais rien fait d'autre que des calendriers et des publicités pour les commerçants du quartier.









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Nouvelles originales



Deux très jolis livres parmi les trésors rapportés de la vieille France, les deux parus dans la collection "Nouvelles originales" lancée en 1947 par les éditions de Minuit. De très beaux livres, tirés à 1000 ex numérotés, d'une quarantaine de pages, à la mise en page soignée et au format délicat.
Dans cette première série, on retrouve Un temps de petite fille, de Georges Henein, et America, de Henri Calet.










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Le nazi et le barbier




"Et qu'allez-vous faire avec ces dents? demanda Madame Holle.
- Commencer une nouvelle vie", dit Max Schulz.






- Le nazi et le barbier, Edgar Hilsenrath, Paris, éditions Attila, 2010.




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AF344




























Le vol AF344, à bord duquel nous eûmes comme un frisson avant qu'il ne se pose.












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Goose Bay





 
De retour de vacances, l'avion qui me ramenait a été contraint d'atterrir d'urgence sur l'aéroport de la base militaire de Goose Bay, au Labrador. Cinq cents passagers hagards dans une base désaffectée quelque part dans la toundra canadienne, et une architecture militaire qui n'est pas sans rappeler le charme russe, voilà de quoi marquer un voyage du sceau de l'imprévu.















"Je crois que le cinéma est une amélioration de la vie parce qu'il est extraordinaire."

Francois Truffaut










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Le bureau des épaves



Il existe à Casablanca un service d'objets trouvés surnommé le bureau des épaves; c'est aussi sous ce nom que fut étonnamment traduit le film Stranded, de Frank Borzage en 1935. Le savait-il? Peu importe, cela désigne aussi désormais cette très belle édition de l'un des tapuscrits confiés par l'auteur aux éditions Pierre Mainard en 2008.



Or de cinq heures dans le ciel rare,
le fleuve gris, la terre grise,
la mort aux doigts qui sentent l'amour
on lèche le temps, la langue est grise




(extrait de Cheval sous le talus des mort, in Le Bureau des épaves, éditions Pierre Mainard)




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- Le Bureau des épaves, Pierre Peuchmaurd, éditions Pierre Mainard, coll. "Courantes", 112 p. sous couverture à rabats, 11x17, 2010, ISBN 9782913751477, 12 euros.

Suite à la fin

Je pourrais parler des mystérieuses translations de haïkus d'Issa, le plus belge des poètes japonais, par Pierre Peuchmaurd. Je pourrais. Mais voilà que Thierry Horguelin l'a fait, avec l'élégance qu'on lui connaît. Comme son blog est de toute façon d'une agréable nécessité, autant le lire ici.

Puisque la fenêtre est ouverte, profitons en pour signaler la parution récente aux éditions Pierre Mainard de deux inédits de Peuchmaurd, Le Bureau des épaves, et L'Ivre mort de lierre.




Scènes champêtre
(Trois)

Le vent dans le ciel
les deux
moiselles sur la prairie

Des bisons de bulles
passent au find du tableu

*

Un large vent de viande
s'abat sur la fôret
sur les seins nus des rois
et le rire des marais

Ou simplement il pleut

*

Les sangliers dorment quand il pleut
Des oiseaux plats
traversent leurs ombres,
l'automne avale 
un dernier papillon





(extrait de L'Ivre mort de lierre)





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   Éditions Pierre Mainard, 14 place Saint Nicolas, 47600 Nérac

- Le Bureau des épaves, Pierre Peuchmaurd, éditions Pierre Mainard, coll. "Courantes", 112 p. sous couverture à rabats, 11x17, 2010, ISBN 9782913751477, 12 euros.
- L'Ivre mort de lierre, Pierre Peuchmaurd, éditions Pierre Mainard, coll. "Grands poèmes", 36 p. sous couverture à rabats, 15x24, 2010, ISBN 9782913751484, 8 euros.



















Pour célébrer la visite de la reine, rien ne vaut une bonne buanderie royale.








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Capharnaüm



C'est fait, c'est fou. Après huit longs mois de préparation, j'ai enfin réussi à m'évader quelque jours en dehors de Montréal. Et comme les choses sont parfois bien faites, le premier numéro de Capharnaüm est arrivé juste à temps pour se glisser dans mon sac.
Capharnaüm? Mais oui, il s'agit de la revue lancée ces jours-ci par les éditions Finitude, qui entendent donner à lire des nouvelles, des chroniques et des correspondances d'auteurs de leur catalogue, mais aussi des photos et des dessins, bref, autant de fragments dont ils assument fièrement le statut de fonds de tiroir.

Au programme de ce premier numéro, des textes de :
Raymond Guérin
Eugène Dabit
Marc Bernard
Jean-Pierre Martinet
Michel Ohl
Georges Hyvernaud
Robert Louis Stevenson
Georges Arnaud

Enfin, cette nouvelle publication nous plait jusque dans son nom, qui fait partie des mots que l'on aime avoir en bouche et dire tout haut, Capharnaüm, Bathyscaphe, Capharnaüm, Bathyscaphe, comme un certain Antoine Doinel dans Baisers volés, répétant jusqu'à épuisement Fabienne Tabard, Fabienne Tabard, Fabienne Tabard, Antoine Doinel, etc.


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Pour le plaisir toujours un peu étourdissant de revoir Jean-Pierre Léaud, voir les extraits ici et .


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Capharnaüm est disponible en France dans les bonnes librairies, et en Amérique à la librairie Le Port de tête.







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Authenticité





















L'image de la semaine, La petite idée fixe, bar authentique à Montréal.










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Ruelle 6659





Bon, voilà que j'avais annoncé, voire presque promis (quelle erreur) de nouvelles photos avec le retour du printemps, il serait donc temps de s'y mettre.
Hier par exemple, j'ai fait une assez longue balade en vélo d'une cinquantaine de kilomètres, longé canaux, parcs en fleurs et rivières ensoleillées, le tout en traînant mon lourd appareil photo. Mais il arrive parfois que l'envie de rouler et de contempler soit plus forte que celle de s'arrêter et de figer. Jusqu'au dernier virage, l'ultime ruelle, celle que j'ai déjà photographié si souvent.













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Huit jours avant l'Année dernière



Nous voici donc à quelques jours du lancement de la réédition de L'Année dernière à Cazillac par les éditions de L'Oie de Cravan.
Quelque part entre un bleu Gauloise et un bleu horizon, le livre sera présenté dans la très belle collection Le fer & sa rouille, où les livres sont finement cousus à la main et dont le tirage est soigneusement limité à 200 exemplaires.


Présentation du livre par l'éditeur, Benoît Chaput :

"Pierre Peuchmaurd a écrit très peu de prose. En 2004 il avait fait paraître L'Année dernière à Cazillac, un magnifique ensemble de fragments autobiographiques qui se concentrent sur un espace de temps relativement bref, un passage de la vie de l'auteur, pour avancer en profondeur vers ce qui est au centre de sa démarche de poète. Ceci avec l'amertume souriante d'un grand styliste qui peut se permettre une douce auto-dérision. Ce texte m'avait enthousiasmé au moment de sa publication et, avec une infinie lenteur, je travaillais depuis quelques années à le traduire en anglais. Maintenant, un an après la disparition de son auteur, le moment me semble propice pour le ressortir (il était devenu introuvable dans son édition originale), accompagné de sa traduction anglaise."

Le lancement aura lieu le lundi 3 mai à partir de 18h, à la très raffinée librairie le Port de tête. Pour joindre le plaisir à l'agréable, quelques textes seront dits par Yves-Antoine Rivest, qui sera accompagné au violoncelle par Émilie Girard-Charest.







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À ma fenêtre




Cette fois, on dirait enfin que le printemps est à ma fenêtre. Après un hiver sans photos et avec le retour du vélo, cela me redonnera t'il enfin le goût de photographier? Je croise les doigts.










L'envers du monde




"Qui est-ce qui les recueille, ces heures-là, qui n'ont servi à rien? Quelquefois je crois qu'il est à l'envers du monde un endroit où elles sont conservées, où elles tombent comme de l'eau pure, où les morts les boivent, pour être heureux."

Catherine Pozzi, Agnès (1927).




De Catherine Pozzi, maîtresse de Paul Valery et, entre autres, amie d'Anna de Noailles et correspondante magnifique de Rilke, on devrait lire :

- Agnès, Paris, éditions La Différence, coll. "Minos", 2002.
- Journal 1913-1934, Paris, éditions Phébus, coll. "Libretto", 2005.
- Correspondance avec Rilke, 1924-1925, Paris, éditions La Différence, 1990.

Un an

























La rose blanche est la vraie fleur du deuil, celle que la mort tient entre ses doigts pourris.


De la mélancolie comme suite à la fin.


Il goutte des tombes.


Chacun sa vie, chacun ses morts. Chacun ses morts vivants.


La lune mange ses croissants la nuit.


Le métacarpe est un poisson volant.

Le chien va jusqu'au bout de sa laisse. L'homme, pas toujours.


Je venais de prendre une douche au lait de coton et au coquelicot. Il fallait voir comment les papillons se ruaient sur moi.


La mort adoucit les mœurs.


L'humour noir, le grand humour noir, tout de même nous ne le sortons pas tous les jours. La plupart du temps nous nous contentons de l'humour gris.

Les absents ont tort d'être aussi présents.



Aphorismes de Pierre Peuchmaurd, extraits de Le Moineau par les cornes (Fatigues III), éditions Pierre Mainard, 2007.

Léger retard


Au commencement je n'avais pas remarqué sa présence; à dire vrai, j'ignorais jusqu'à son existence. Dix ans plus tard environ, je commençais à me demander pourquoi je le croisais aussi souvent dans les librairies d'occasion : mauvais livre, tirage trop ambitieux, ou combinaison des deux?
Après une autre décennie de purgatoire dans la banlieue de mon cerveau, un ou deux hasards et un geste irréfléchi m'ont finalement mis entre le mains un exemplaire du premier roman de Jean Rouaud, Les Champs d'honneur. Prix Goncourt (ce qui n'a jamais rien garanti mais qui explique le tirage) en 1990 (ce qui explique que je sois passé à côté puisque j'avais douze ans et que les aventures du capitaine Nemo étaient alors beaucoup plus à mon goût).
Dans ces champs d'honneur, il est donc question des décès rapprochés dans une famille d'un père, d'un grand-père et d'une tante, de deuil évidemment, des souvenirs que l'on convoque de peur d'oublier trop vite une visage ou une voix, et de la Grande Guerre, première et dernière.
Un écrivain qui ouvre son livre par une description comparée de vingt-cinq pages de l'intérieur de la 2CV de son grand-père et des différents types de pluie qui tombent en Loire-Inférieure ("la moitié fidèle de la vie" dans cette région), mérite qu'on lui donne une chance, même avec vingt ans de retard.


"Cette chose, naturelle du temps que papa s'en chargeait avec la redoutable force des pères, nous enseignait après sa mort que le chemin serait désormais semé d'embûches contres lesquelles il nous faudrait l'âme comme un brise-glace, dure et tranchante, que nous n'avions pas, ne sachant que pleurnicher en robinsons tristes débarqués sur un archipel de ténèbres."



Jean Rouaud, Les Champs d'honneur, Paris, éditions de Minuit, 1990, coll. "Double".








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Des nains boursouflés

"Des cerfs-volants virgulaient dans un ciel si limpide qu'on pouvait en voir le fond. Certains s'élevaient tellement haut que leur retour paraissait improbable. Mais, inexorablement, la ficelle les ramenait sur la plage où ils trébuchaient, maladroits, pitoyables, en manque d'air. Des nains boursouflés, engoncés dans des anoraks aux couleurs criardes, les tiraient à eux en riant. Marc avait envie de les gifler. Entre leurs mains potelées, les cerfs-volants n'étaient plus alors que des espèces de raies anorexiques à bout de souffle. Les pères de ces mini-cosmonautes arrogants qui piétinaient le sable gris couraient vers eux, grands et cons, et tombaient à genoux, ivres d'eux-mêmes et de leur progéniture devant la dépouille des ces grands oiseaux à présent réduits à des carrés de soie crucifiés sur deux baguettes de bois."


Pascal Garnier, Le grand loin, éditions Zulma, 2010.







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Comment va la douleur?



Nous interrompons nos programmes pour relayer une triste nouvelle : Pascal Garnier vient de mourir.  
Après être tombé un peu par hasard sur Comment va la douleur? il y a quelques années, je guettais depuis chacun de ses nouveaux romans avec cette impatience tranquille que l'on ressent lorsque l'on est vendu d'avance à la cause d'un écrivain, et l'annonce de sa disparition me prend d'autant plus de court que je m'apprêtais justement à lire son dernier roman, Le grand loin.
David Caviglioli, du Nouvel Obs, présente le style de Garnier comme étant "à mi-chemin entre les romans noirs humanistes d'un Simenon et la poésie banlieusarde d'un Hardellet", ce qui décrit assez bien cette écriture  sans artifice qui semblait ne pas se préoccuper des modes de son temps. 
Dans un entretien récent (que l'on peut voir ici), Garnier avouait d'ailleurs ne lire que peu de romans, et encore moins ses contemporains, préférant s'intéresser à la vie des gens. Cet intérêt transparait de façon évidente dans les portraits touchants et néanmoins emprunt d'un humour noir souvent ravageur de personnages ordinaires qui ne demandent souvent qu'un peu de répit avant la chute.
Sombre, mais ni désabusée ni cynique, simplement l'écriture d'un homme à qui on ne la fait plus, et qui ne prétend pas vous la raconter.
Voilà, il ne racontera plus, et c'est encore un vide qu'il va falloir combler.




Bibliographie incomplète de Pascal Garnier :

- L'A26, Zulma, 1999; 2008.
- Les Hauts du bas, Zulma, 2003 ; Le livre de poche, 2009.
- La Solution esquimau, Fleuve Noir, 1996; Zulma, 2006.
- Comment va la douleur?, Zulma, 2006; Le livre de poche, 2008.
- La Théorie du panda, Zulma, 2008.
- Lune captive dans un oeil mort, Zulma, 2009.
- Le grand loin, Zulma, 2010.






Carte postale de l'enfer

 


Contraint par la transformation automnale de mon vélo en accordéon, je n'avais d'autre choix pour poursuivre mon voyage que d'emprunter les transports les plus communs et les plus souterrains. Quitte à devoir explorer les entrailles de la ville, j'en ai rapporté une image.
Mais le bout du tunnel n'est peut-être pas si loin...